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Projet de loi El Khomri: pourquoi tant de haine?

Le projet de la ministre du travail vient à peine d’être dévoilé qu’il est déjà fortement critiqué. Applaudit par les milieux économiques, il peut pourtant redonner du souffle à un marché du travail français à l’arrêt. 

Le gouvernement et Myriam El Khomri prennent des risques
Le gouvernement et Myriam El Khomri prennent des risques

Depuis quelques jours, la même petite musique résonne. Le projet de loi du gouvernement qui entend réformer le droit du travail serait dangereux, une honte, voire pire. Une grande partie de la gauche est vent debout. Même le Premier secrétaire du Parti Socialiste Jean-Christophe Cambadélis a annoncé qu’en l’état actuel des choses, il ne voterait pas ce projet. Dès lors, on pourrait penser que la droite dite classique soutiendrait comme un seul homme ce projet de loi d’essence libérale. Que nenni, une partie de la droite gaulliste le pourfend également. «Pour faire bonne figure dans la mondialisation, il nous faudrait renoncer à humaniser le capitalisme, à édicter des règles sociales, à préserver la dignité du travail, la dignité des travailleurs», dénonce le député Les Républicains Henri Guaino. Mais alors pourquoi tant de colère et de haine envers ce projet de loi? Peut-on véritablement parler de régression sociale? Tentative d’éclaircissement. 

Le projet de loi va dans le bon sens

La loi El Khomri prévoit d’accorder un poids accru à la négociation au sein des entreprises plutôt qu’aux accords de branches ou nationaux. Qui pourrait s’en plaindre? Les accords nationaux sont un échec depuis des décennies en France et la négociation dans l’entreprise a fait ses preuves en Allemagne. La loi ne prévoit rien d’autre que de donner le pouvoir aux salariés, plutôt qu’à des syndicats qui les représentent de moins en moins. Autre point du projet, les accords collectifs pourront faire passer la durée du travail de 10 à 12 heures par jour en cas de « circonstances exceptionnelles ». Si une entreprise est au bord du gouffre, les salariés sont de fait prêt à travailler une ou deux heures de plus par jour pendant quelques semaines pour sauver leurs emplois. Le gouvernement veut traduire cet état de fait dans la loi. Enfin, et c’est la proposition qui fait sans doute le plus polémique, la loi El Khomri prévoit de faciliter le licenciement économique. Et notamment d’écrire ce qui doit être considéré par les juges comme des difficultés économiques. Soit « une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires de plusieurs trimestres consécutifs, en comparaison à la même période de l’année précédente ; soit des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois ; soit une importante dégradation de la trésorerie, ou tout élément de nature à justifier de ces difficultés ». Les indemnités prudhommales vont également être plafonnées en fonction de l’ancienneté. Le gouvernement fait le pari qu’en élargissant le cadre et les possibilités de licenciement, l’employeur embauchera plus facilement. Dans un pays qui compte plus de 5 millions de chômeurs, donner plus de clarté et de visibilité aux entreprises ne peut qu’améliorer la situation. Les exemples anglais et allemands sont là pour l’attester.

Pour autant, il n’est pas révolutionnaire

Comme expliqué dans un précédent article, si ce projet de loi fait bouger les lignes, il ne peut être défini comme révolutionnaire. Les 35 heures restent la norme et ne sont pas modifiées. Le gouvernement n’évoque pas un contrat de travail unique. Il ne prévoit pas non plus de toucher au SMIC. Entendre des personnalités politiques dénoncer une « esclavagisation des français » semble pour le moins excessif. Si le gouvernement n’est donc pas allé jusqu’à la révolution libérale demandée par certains, ce projet de loi n’en demeure pas pour le moins audacieux.

Le gouvernement fait preuve de courage

Alors qu’il reste à peine plus d’un an avant les élections présidentielles, le Président et le gouvernement prennent une décision courageuse en lançant ce chantier maintenant. François Hollande semble décidé à assumer son virage social-démocrate jusqu’au bout alors même qu’il vient de faire rentrer des personnalités écologistes dans son gouvernement. Un pari audacieux mais également risqué. En prenant cette décision, le Président de la République sait pertinemment qu’il ne pourra pas reconquérir l’ensemble de l’électorat de gauche en vue de 2017. Mais qu’il sera également difficile de convaincre un électorat centriste qui semble promis à Alain Juppé. François Hollande a surement également conscience que si ce projet de loi est voté puis appliqué, l’effet sur le chômage ne sera pas immédiat. En 2003, le gouvernement allemand de Gerhard Schröder mit en place les lois Hartz modifiant en profondeur le marché du travail allemand. Ce même gouvernement perdit les élections législatives de 2005. Ce fut finalement sa successeur Angela Merkel qui profita des premiers effets positifs de ces réformes. Le parallèle entre ce que tente de faire François Hollande aujourd’hui et ce qu’à fait le chancelier allemand hier existe. Peut-on en conclure que le Président pense d’abord à la France plutôt qu’à sa réélection? Peut être. Et c’est tout à son honneur.

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